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bâtiment 5.H.

30 août 2008

Les révoltés du bloc B

Je me souviendrai toujours de mon enfance à la caserne, dans cette caserne qui est maintenant en ruine, mais qui déjà à l'époque pouvait se targuer d'être la caserne la plus pourrie de France. Construite dans les années 60, elle a ensuite été livrée à elle-même. L'entropie a fait son chemin. Entre les dalles cassées surgissaient les poussières d'amiante, entre les vitres du pseudo-double vitrage ressortaient les joints des fenêtres, le mur de ma chambre était pas étanche, dès qu'il pleuvait c'était tout mouillé, et puis ça moisissait... La poignée de porte était montée à l'envers, les volets tenaient pas, tout était comme ça...

Et puis c'était la guerre. On se battait contre ceux de l'immeuble d'en face. Gang contre gang. Moi j'étais à la tête d'une armée stable de trois ou quatre personnes qui pouvait parfois aller jusqu'à dix combattants si besoin. On se battait gentiment à coups de jet d'eau, de boules de neige, plus méchamment à coups de caillou, à coups de batte ou alors au corps à corps. Un jour, un de ceux d'en face a même pris l'arme de service de son père, il s'amusait à nous braquer avec depuis son balcon... Mais c'est pas grave, nous on était de la résistance, on avait pas peur et on a lutté contre eux, jusqu'à ce qu'ils déménagent... On combattait pour le contrôle des buissons, pour le contrôle du noyer, pour réussir à chopper leur trésor. Souvent c'était rien d'autre qu'un sac de noix ou une grosse pierre.
Notez que les histoires de drogues ou d'essence siphonée, c'était pas nous, ça concernait les vieux. Parfois on les attaquait, juste pour les faire chier, juste pour salir leur jogging ou leur jean avec nos basquettes boueuses... Pour leur montrer que la vie c'est pas passer ses journées à poser, qu'il faut bouger... Mais ils comprenaient pas et c'était des sacrées raclées pour notre gueule. On sait pas trop ce qu'ils sont devenu.
On jouait à la guerre aussi avec nos armes en plastiques, tout un arsenal de M-16, Kalashnikov, Uzi, grenades, couteaux, haches, épés... On a fait toutes les batailles, de toutes les époques, de tous les fronts. Du chemin des Dames au débarquement en passant par les barouds d'honneur de la débâcle... On a même poussé la lutte jusqu'aux croisades. Moi je m'étais nommé général en chef, j'avais quelques officiers avec moi.
Et les filles, on les espionnait. On organisait des infiltrations dans leurs territoires pour savoir ce qu'elles cachaient. On s'aidait de talkie-walkie. Ils marchaient pas souvent, on se faisait vite repérer. Finalement on allait jouer avec...
On avait des cabanes partout dans les buissons, dans les arbres, des caches d'armes dans les placards à disjoncteur, c'était solidement organisé. Les plans d'attaques étaient dessinés sur papier. En été on mettait des tentes, une fois en hiver on a même construit un igloo avec des blocs de glace pour faire les vitres.
On a joué à tout, partout, avec tout... Dans les cages d'escaliers, dans les caves, sur la place d'arme, derrière les camions, on s'est pris des coups, des gamelles, des gaz de bombe lacrymo, des engueulades... On était fou.

Et un jour il n'y a plus eu personne. Les ennemis ont déménagé, on s'est ennuyé... Alors on est allé cherché la grosse pierre, on l'a passé par dessus le grillage de la caserne pour en finir une bonne fois pour toute. Puis comme il y avait de moins en moins de monde, on a fini par s'engueuler entre nous. Les adultes ont subitement démonté tous les jeux et les petites installations sportives sous le prétexte qu'elles n'étaient « plus aux normes » alors qu'elle l'avaient jamais été... Ils ont sciés les branches des arbres pour plus qu'on grimpe après, et puis ils ont taillé les buissons pour plus qu'on se cache. Même les espaces fleuris ont été laissé à l'abandon. Il n'y avait plus aucune volonté nulle part... Alors on a déserté à notre tour. Les cages d'escalier sont devenues des lieux de passage. On a regardé une dernière fois la facade de l'immeuble qui tombait, les mauvaises herbes qui commencaient à tous recouvrir. Et puis on a du déménagé à notre tour. On a grandi chacun de notre côté en oubliant peu à peu qui on était et d'où on venait,  perdant de vue qu'à l'âge de 8 ans on avait pas hésiter à organiser la lutte juste pour un sac de noix.

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